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Lorsqu’une entreprise québécoise en aéronautique a pris conscience qu’elle devait augmenter sa taille pour maintenir ses activités, elle a décidé que la meilleure stratégie pour prendre son envol à l’international était d’opérer une fusion avec une entreprise étrangère.

Pour Jean Blondin, chef de la direction d’Abipa International, le message du secteur était clair : si vous ne faites pas partie des « grands », vous pouvez renoncer à vos ambitions internationales.

« Les entreprises mondialisées nous disaient qu’elles avaient besoin de fournisseurs plus grands et plus solides pour les aider à réduire les risques liés à la chaîne d’approvisionnement », explique M. Blondin, président de l’entreprise depuis plus d’une décennie. « Elles voulaient éviter les petits fournisseurs vu les efforts à déployer pour soutenir la chaîne d’approvisionnement avec l’aide de ces entreprises. »

C’est la raison principale qui a décidé Abipa Canada d’opter pour la fusion, souligne-t-il.

Abipa Canada et sa stratégie de fusion

Le terme « fusions et acquisitions » est généralement utilisé pour désigner un processus regroupant deux entreprises distinctes en une seule entité. Une des entreprises achète l’autre en totalité (l’acquisition) ou s’unit avec elle pour créer une nouvelle entité commerciale (la fusion). Pour Abipa Canada, la stratégie optimale a été de se fusionner avec le Groupe ARM en France pour faire considérablement croître la taille de l’entreprise – qui est devenue Abipa International – et ainsi avoir un rayonnement international.

Abipa Canada a été fondée en 1982, et faisait partie en 2020 des petites et moyennes entreprises (PME) avec un chiffre d’affaires annuel d’environ 50 millions de dollars. Spécialisée dans l’usinage de précision de composants complexes d’alliages de métaux pour les moteurs, les trains d’atterrissage et les pièces de structures d’avions, Abipa Canada joue le rôle de fournisseur pour des entreprises internationales telles que Bombardier, Pratt & Whitney, Messier-Bugatti-Dowty, Siemens, Mitsubishi Canada, Héroux Devtek et Figeac Aero.

La fusion avec le Groupe ARM est née de la difficile réalité financière. « Nous savions que la capacité d’affaires maximale de l’entreprise en Amérique du Nord serait d’environ 100 millions de dollars annuellement, et qu’il allait nous falloir du temps pour arriver à ce niveau, confie M. Blondin. Pour perdurer, nous devions prendre de l’expansion, et nous devions développer de solides capacités d’investissement et de croissance. »

Jean Blondin  photo

 

L’entrée du Groupe ARM sur la scène

Le Groupe ARM est le résultat de la fusion de six entreprises spécialisées dans l’usinage de pièces mécaniques. L’entreprise française, employant 330 personnes réparties sur cinq sites en France et un au Maroc, est un important fournisseur de pièces et d’assemblages pour les marchés de la mécanique de précision, notamment l’aéronautique et la défense.

Avant la fusion d’Abipa avec le Groupe ARM, les deux entreprises étaient de taille similaire et, avant la pandémie, dégageaient chacune un chiffre d’affaires annuel d’environ 50 millions de dollars. Elles ont instauré un dialogue parce qu’elles partageaient la même vision de l’avenir du marché de l’aéronautique et des nouvelles attentes des fabricants d’équipement d’origine (les équipementiers). Comme le Groupe ARM, Abipa sentait que les possibilités de croissance interne étaient limitées et que des partenariats stratégiques seraient nécessaires pour se développer davantage.

Outre la croissance économique, les deux entreprises avaient conscience qu’elles deviendraient plus attrayantes pour les grandes entreprises aéronautiques en devenant un seul grand fournisseur avec une plus large gamme de produits. Elles seraient ainsi bien placées pour devenir un unique point d’approvisionnement d’un plus grand nombre de composants et d’assemblages, tout en disposant d’une chaîne d’approvisionnement plus solide. Cela répondait parfaitement à l’appel des grandes entreprises pour un secteur avec de plus grands fournisseurs en plus petit nombre, et plaçait Abipa International dans la position idéale pour croître sur les marchés mondiaux.

Une alliance complémentaire

« Abipa et le Groupe ARM fabriquent tous les deux des composants et des sous-ensembles, déclare M. Blondin. Toutefois, nos produits ne se chevauchent pas tant que ça. Le Groupe ARM est plutôt spécialisé dans les parties en aluminium et en titane, tandis que nous travaillons le métal dur, et le Groupe peut fabriquer de plus grands composants que nous. Comme nous ne fabriquons pas les mêmes composants, nos marchés ne sont pas les mêmes et, par conséquent, nous sommes complémentaires. »

La fusion permet également à Abipa International d’étendre sa portée géographique et de diversifier sa clientèle; de cette manière, la nouvelle entreprise fait face à moins de risques que les deux entreprises d’origine.

« Avant, nous étions chacune exposées à un seul grand client, raconte M. Blondin. Mais grâce à la fusion, ces deux grands clients ne représentent plus que 35 % de nos affaires. Nous avons alors pu faire baisser considérablement les risques. »

EDC entre en jeu

« Abipa et Exportation et développement Canada (EDC) collaborent depuis 2017, date à laquelle l’entreprise a commencé à souscrire Assurance crédit portefeuille d'EDC », déclare Supun Fernando, directeur de comptes commerciaux et responsable d’Abipa à EDC.

« La relation a évolué, et Abipa a également commencé à utiliser nos solutions à l’exportation, comme notre Garantie de facilité de change. En ce qui concerne la fusion entre Abipa et le Groupe ARM, nous sommes intervenus au moment du financement », souligne M. Fernando.

Selon Alexandre Aubrey, gestionnaire principal des investissements à EDC ayant travaillé avec les deux entreprises, une stratégie de fusion et acquisition peut avoir deux avantages pour les entreprises canadiennes en aéronautique.

« Tout d’abord, cela leur permet d’avoir une taille assez importante et éviter ainsi d’être absorbées par des entreprises états-uniennes ou européennes. Ensuite, cela les place sur le marché international et leur donne la capacité d’offrir leurs services pour plusieurs plateformes d’aéronefs. Ce sont des critères vitaux pour un fournisseur qui souhaite conserver sa pertinence sur le marché mondial. »

M. Aubrey précise qu’EDC a joué un rôle essentiel dans le volet financier de la fusion. « À l’époque, le secteur aéronautique traversait une zone de turbulences en raison de la pandémie. C’est à ce moment-là qu’EDC est intervenue à titre d’investisseur institutionnel indépendant et de partenaire de financement par capitaux propres. Le Fonds de solidarité FTQ, le principal actionnaire d’Abipa, était responsable du financement par capitaux propres, et EDC est devenue partenaire par l’intermédiaire de son Programme d’investissement de contrepartie. À titre de contrôle préalable pour le financement, EDC s’est appuyée sur l’évaluation du Fonds de solidarité FTQ, qu’elle a ensuite vérifiée et confirmée. »

L’intérêt d’EDC pour cette transaction n’était pas que financier : l’objectif d’EDC est depuis toujours d’aider les entreprises canadiennes à prospérer sur les marchés étrangers. « En apportant son soutien à cette fusion, EDC nous aide à faire croître nos affaires à l’international, soutient M. Blondin. Elle nous donne les ressources et l’expertise dont nous avons besoin pour nos transactions internationales, et nous aide à augmenter notre clientèle à l’étranger. »

Qu’en est-il des résultats?

Et maintenant, la grande question : les résultats en valaient-ils la peine; en particulier, ont-ils permis à Abipa International d’atteindre une taille suffisante pour satisfaire à la demande des grandes entreprises du secteur aéronautique?

« Il ne fait aucun doute que nous avons atteint cet objectif, déclare M. Blondin. Selon moi, Abipa International n’est plus une PME. Nous avons des centaines d’employés sur trois continents et six sites de fabrication, et nous avons déjà un chiffre d’affaires annuel de 100 millions de dollars. Nous sommes désormais très bien positionnés à l’échelle mondiale : nous avons la taille idéale pour notre secteur, avec un capital solide et des partenaires de confiance. Sans oublier notre portée géographique qui nous ouvre de nombreuses portes! »

« Nous allons avoir une croissance très soutenue, et je prévois que d’ici cinq ans, nous afficherons un chiffre d’affaires annuel de 160 à 200 millions de dollars. Et ce, même sans faire d’autres fusions ou acquisitions. »

Toutes les entreprises figurant dans les chaînes d’approvisionnement du secteur mondial de l’aéronautique sont particulièrement conscientes de l’évolution rapide du contexte. Les petites entreprises ont de moins en moins de chances d’être choisies comme fournisseurs par les grandes entreprises en aéronautique, une réalité qui peut faire chuter dangereusement leurs revenus.

Face à cette menace, la stratégie optimale est de prendre de l’expansion et de se diversifier. Toutefois, compter sur la croissance naturelle de ses ventes revient à dépendre d’un processus lent et imprévisible. La meilleure solution est de faire croître son entreprise en se fusionnant avec une entreprise ou en en acquérant une autre.

Abipa Canada (désormais Abipa International), une entreprise en aéronautique établie au Québec avec un chiffre d’affaires annuel d’environ 50 millions de dollars, est spécialisée dans l’usinage de précision de composants pour le secteur depuis 1982. Sous la houlette de Jean Blondin, l’équipe de la direction a pressenti la menace et décidé que la fusion avec une entreprise étrangère résoudrait non seulement le problème de la taille, mais s’accompagnerait également un plus grand rayonnement international.

Un employé d’Abipa International au travail dans une usine du Québec.

Le secteur aéronautique et ses chaînes d’approvisionnement

Les fabricants préfèrent désormais les fournisseurs de plus grande taille parce que chaque relation fabricant-fournisseur exige de la part du fabricant un suivi très important du fournisseur afin de s’assurer que ce dernier respecte toutes les normes requises en matière de qualité. Un petit fournisseur demandant le même suivi qu’un grand, une chaîne d’approvisionnement faite de nombreux petits fournisseurs est bien plus complexe et onéreuse qu’une chaîne qui n’est constituée que d’un nombre limité de grands fournisseurs.

« Les grandes entreprises en aéronautique ne cherchent plus de fournisseurs de petite taille qui n’ont qu’une gamme limitée de produits », explique Alexandre Aubrey, gestionnaire principal des investissements à Exportation et développement Canada (EDC). « Elles veulent des partenaires de plus grande taille sur lesquels elles peuvent compter pour fournir une chaîne d’approvisionnement solide et avec peu de risques pour la plupart de leurs besoins. Par conséquent, il y a actuellement de nombreuses fusions au niveau des chaînes d’approvisionnement du secteur aéronautique, que ce soit au Canada ou dans le reste du monde. »

Les fournisseurs comme Abipa en ont pris conscience et essaient d’acquérir une taille qui leur permettra d’établir des partenariats avec les grandes entreprises de l’aéronautique. Les méthodes les plus courantes dans ce cas sont celles de la fusion et de l’acquisition, dans le cadre desquelles deux entreprises distinctes deviennent une seule entité. Une des entreprises achète l’autre en totalité (l’acquisition) ou s’unit avec elle pour créer une nouvelle entité commerciale (la fusion).

Préparation de la fusion

Chaque fusion ou acquisition exige un engagement considérable de temps, de ressources et de personnes. C’est dans cet état d’esprit qu’Abipa a pris le temps d’établir de solides assises opérationnelles et de gouvernance avant d’amorcer le processus.

« Tous nos cadres supérieurs ont de l’expérience en grande entreprise, souligne M. Blondin. C’est pourquoi nous avons pu atteindre la maturité de gouvernance nécessaire pour fusionner. Pour commencer, nous avons créé un comité des fusions et acquisitions au sein du conseil d’administration qui a défini les caractéristiques que nous recherchions chez notre entreprise cible potentielle. »

« Ces critères comptaient notamment l’accès à de nouveaux clients, la sécurisation de notre chaîne d’approvisionnement, la recherche de technologies complémentaires et le choix d’une région géographique adaptée, entre autres. La définition de ces critères était cruciale pour le projet, afin de nous assurer de choisir le bon partenaire. Après cette étape, nous étions prêts à chercher une entreprise potentielle avec laquelle fusionner, car nous savions exactement ce que nous cherchions. »

Les prémices du processus

Pour Abipa, le Groupe ARM représentait la meilleure cible potentielle pour une fusion, car il était d’une taille similaire à celle d’Abipa et expert dans l’usinage de pièces mécaniques pour les marchés de la mécanique de précision, tels que les secteurs de l’aéronautique et de la défense. Mieux encore, Abipa et le Groupe ARM avaient déjà évoqué une alliance parce qu’ils partageaient la même vision de l’avenir du marché de l’aéronautique et des nouvelles attentes des grands fabricants.

En premier lieu, Abipa a visité les cinq sites du Groupe ARM en France et le site du Maroc afin de réaliser son contrôle préalable. Le rapport ainsi établi a été transmis au comité des fusions et acquisitions d’Abipa, lequel a conclu que les deux entreprises pouvaient être compatibles. En effet, le Groupe ARM répondait aux critères du comité et possédait la connaissance, l’expertise et la clientèle recherchées par Abipa.

« Nous avons alors recruté un important cabinet de comptabilité pour nous aider à monter la transaction, poursuit M. Blondin. Ce cabinet a travaillé avec nous jusqu’à quelques jours avant la signature de la fusion, mais d’un seul coup, tout a été chamboulé. »

La pandémie et les autres défis

Le « chamboulement » est arrivé sous les traits de l’épidémie inattendue de la COVID-19 en mars 2020. Le processus de fusion a été mis en pause pendant environ six mois, le temps que l’industrie mondiale tâche d’évaluer ce qui allait se passer. Finalement, les choses se sont tassées, mais, à cause des changements dans le secteur liés à la pandémie, Abipa a décidé de refaire son évaluation et son contrôle préalable pour décider si elle allait poursuivre la transaction.

« Nous sentions qu’il s’agissait plutôt d’une décision interne et que nous n’avions donc plus besoin du cabinet de comptabilité, raconte M. Blondin. Nous avons eu recours à notre expertise interne et nous avons travaillé étroitement avec notre partenaire financier de longue date, le Fonds de solidarité FTQ, pour réévaluer les chiffres. L’équipe du Fonds de solidarité FTQ est une experte de l’évaluation et, grâce à son aide et à celle de nos avocats et de spécialistes en fiscalité, nous avons finalisé la transaction et sommes devenus Abipa International. »

Malgré tout, le processus n’a pas été sans obstacle, même avec l’aide des experts. « Nous avons découvert qu’opérer une fusion à l’international n’avait rien de facile, reconnaît M. Blondin. Les lois françaises en la matière sont complètement différentes de celles du Canada, par exemple, et cela exige beaucoup de travail de fusionner deux cultures d’affaires différentes. Nous avons beaucoup appris, mais cela a été beaucoup plus complexe que si nous avions fusionné avec une entreprise canadienne. »

De son côté, EDC a participé à l’étape de financement de la fusion en travaillant avec le Fonds de solidarité FTQ, le propriétaire majoritaire d’Abipa. EDC joue un rôle de partenaire du financement par capitaux propres par l’intermédiaire de son Programme d’investissement de contrepartie. À titre de contrôle préalable, EDC s’est basée sur l’évaluation du Fonds de solidarité FTQ, qu’elle a ensuite vérifiée et confirmée. 

Après la fusion

Jean Blondin insiste : on ne répétera jamais assez l’importance de préparer la phase d’après fusion ou acquisition.

« Il faut se préparer à l’après dès la phase de préparation à la transaction, conseille-t-il. Quand les papiers sont signés, il est déjà bien trop tard pour s’y mettre : une fois la transaction finalisée, tout va très vite et devient compliqué, il faut donc bien prévoir chaque étape. »

« La stratégie que vous adoptez juste après la fusion déterminera comment la nouvelle entreprise s’occupera des volets essentiels, tels que la gestion financière, l’exploitation, les ressources humaines, la communication et les technologies de l’information; c’est pourquoi il est important de ne pas se tromper. »

Pour préparer l’après-fusion, Abipa a créé un groupe pour évaluer les besoins. « Le groupe comptait des personnes des deux entreprises, et nous avons mis en place un plan qui couvrait les besoins à court, moyen et long terme, explique M. Blondin. Mais pour que ça marche, il faut s’assurer que tout le monde est sur la même longueur d’onde et s’engage à intégrer les processus et les approches des deux entreprises. »

« Et dans le cas d’une transaction internationale comme la nôtre, il est également très important de prendre en compte l’aspect culturel, puisque l’on mélange deux façons de faire des affaires qui peuvent être très différentes, mais qu’il faut savoir adapter pour permettre la collaboration », souligne-t-il.

Six conseils pour réussir sa fusion ou son acquisition

  1. Déterminez si votre entreprise a la maturité opérationnelle nécessaire. Si ce n’est pas le cas, prenez le temps de croître en ce sens avant d’aller de l’avant.
  2. Assurez-vous d’avoir les bons partenaires financiers. Cherchent-ils des résultats à court ou à long terme? Sont-ils prêts à s’engager?
  3. Veillez à avoir une vision et la bonne stratégie pour parvenir à vos objectifs, ainsi qu’un outil (comme un comité) pour vous soutenir et vous conseiller dans vos démarches.
  4. Sollicitez l’aide d’experts dès le début du projet, qu’il s’agisse de services juridiques, comptables, financiers, de négociation ou de contrôle préalable. Dans le cas des transactions internationales, consultez des entreprises de services-conseils qui ont une présence ou un partenaire dans le pays où se situe votre entreprise cible. Le Centre aide-export d’EDC couvre tous les marchés du monde et peut vous mettre en contact avec les conseillers en commerce d’EDC qui sauront répondre à vos questions, vous aider à comprendre les défis qui se posent et à trouver des solutions pour les surmonter.
  5. Renseignez-vous bien sur le pays de votre entreprise cible. Étudiez le paysage politique et économique local, le cadre juridique et réglementaire (notamment la loi Buy America pour les États-Unis), les accords de libre-échange, le système bancaire et la culture d’affaires.
  6. Préparez une stratégie pour l’après-transaction et utilisez-la pour créer un plan détaillé de l’intégration des systèmes et des activités des deux entreprises.